Harry Smith (1923-1991) était un chercheur en tout et n’importe quoi : musicologie, anthropologie, magie, art, drogue, linguistique. Mais aussi un collectionneur de tout et n’importe quoi. De musique bien sûr, mais il a aussi rassemblé la plus grande collections d’avions en papier du monde et était LE spécialiste des figures en ficelles. C’était enfin un créateur autodidacte de tout et n’importe quoi : peintures, films, écrits. Toutes ses passions étaient poussées à l’extrême par une folie maniaque impressionnante. Retour sur le bonhomme, sa vie, son oeuvre, comme on dit.
Harry est fasciné dès son enfance par les tribus indiennes du Nord-Ouest de l’Amérique et les sciences occultes, l’ésotérisme, la cosmologie, l’alchimie et la sorcellerie. Ces passions lui feront découvrir l’existence de mondes ignorés, de cultures "underground" avant l’heure, que ce soit la culture traditionnelle indienne ou l’occulte. Il décide de documenter ces mondes sous toutes les formes imaginables, ce qui l’occupera toute sa vie. Il commence à enregistrer, photographier et décrire avec minutie les cérémonies des tribus qu’il fréquente et compile des dictionnaires de dialectes indiens. Il a 15 ans. Quelques années plus tard, il veut faire des films, mais n’a pas de caméra. Il innove donc simplement en peignant et grattant directement la pellicule, créant des résultats époustouflants. Ses films ne sont pas conçus comme des divertissements ou des oeuvres gratuites, mais comme des "études optiques", de l’alchimie audiovisuelle. Son intérêt pour le cinéma le rapprochera du milieu jazz et artistique avant-gardiste de San Francisco, où il fera des expériences hallucinogènes qui l’influenceront toute sa vie.
Harry Smith est surtout connu pour l’Anthology of American Folk Music parue en 1952, la compilation musicale la plus importante de l’Histoire. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il amasse des dizaines de milliers de 78-tours destinés à être fondus dans l’effort de guerre, sauvant ainsi un patrimoine dont personne n’avait encore conscience. Il a la chance de tomber sur un label de disques qui lui offre l’opportunité d’éditer, à partir de sa collection, ce qui allait devenir l’Anthology, une collection de 84 morceaux enregistrés entre 1927 et 1932, méticuleusement documentés, illustrés et référencés, présentés sur un format tout neuf : le 33-tours. Pour beaucoup, l’Anthology ouvrit la porte d’un monde inconnu, d’une culture oubliée, créant dans la foulée un véritable culte et préfigurant le revival folk, la beat-generation et la culture psychédélique, avec ses illustrations ésotériques. Harry Smith vit alors à New York et est au centre de l’avant-garde du milieu du XXe siècle. Il continuera ses enregistrements sonores en tous genres, ses expérimentations filmiques et ses créations diverses pendant quatre décennies, puis terminera sa vie comme "chamane en résidence" dans un institut d’études indiennes.