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Hard To Be a God

Réalisateur aussi important que méconnu du cinéma soviético-russe, Alexei Yurievitch Guerman démarre sa filmographie en 1967, qui comporte seulement six longs métrages. Après des débuts prolifiques malgré les ennuis avec l’autorité soviétique (un film tous les 2 à 5 ans jusqu’en 1976), les temps de réalisation s’espacent et son rythme ne laissera au Nova que deux occasions de sortir ses films. Après "Khroustaliov, ma voiture !", sortie principale du 30ème programme du cinéma (fin d’année 1999) et Grand Prix de l’Âge d’Or, c’est au tour de "Hard To Be a God", de hanter notre écran de son Moyen-Âge visqueux.
Révélateur de l’importance de son travail, son film de 1984 "Mon ami Ivan Lapchine", se retrouve en tête d’une liste des 10 meilleurs films soviétiques sélectionnés par un panel de critiques à l’occasion des 70 ans de l’URSS. Sorti de l’école de direction théâtrale de Leningrad (Saint Petersbourg), il démarre dans le cinéma au sein de Lenfilm, le plus vieux studio soviétique reconvertit en place forte des adeptes du cinéma dit d’auteur, et est confronté dès "Le septième compagnon" aux foudres du bureau de censure. C’est que Guerman et Svetlana Karmalita, sa femme, plus proche collaboratrice et co-scénariste, se plaisent à déconstruire les mythes fondateurs d’une URSS encore flamboyante.
Pas moins de trois films démarreront leur vie à l’index. Ingénieux et pugnace, Guerman parvient à voler l’une ou l’autre pellicule qu’il montre sous le manteau à des amis dignes de confiance. Si nécessaire, comme ce fut le cas pour "Mon ami Ivan Lapchine", il contourne les codes de la censure, offre aux regards des officiers des dossiers de production proprets, avec de beaux trams rouges qui parcourent fièrement une ville russe épanouie, pour au final en faire un film en noir et blanc à mille lieues des écrits… sinon pour insérer deux scènes en couleur et ainsi satisfaire à l’appellation d’origine imposée : « long métrage couleur ». Bel essai enterré par la censure, jusqu’à la Perestroïka à venir. Suite à une phase d’inactivité, il reprend du service à la faveur d’une co-production française. Ainsi naquit en 1998, 14 ans après son dernier film, "Khroustaliov, ma voiture !" avec un défi en tête : celui, à l’image des premiers auteurs soviétiques, de remodeler l’art du cinéma, tant il lui paraît abscons de perpétuer une pratique artistique qui vécut sous et par le régime. La Perestroïka signe aussi un début de reconnaissance internationale, avec des invitations dans de prestigieux festivals. Cette situation met à sa disposition des moyens financiers et la crédibilité nécessaire pour mettre en branle le chantier qui l’occupe en creux depuis 1964 : l’adaptation du roman des frères Strugatsky "Hard To Be a God".



Mus par la même dynamique qu’Alexei Guerman et nés peu de temps avant la seconde guerre mondiale, les frères Arkady et Boris Strugatsky sont unanimement reconnus comme les maîtres soviétiques de la littérature de science-fiction. Peu traduite en français, leur œuvre n’en est pas moins indirectement connue de tout cinéphile. "Roadside Pic Nic", leur roman le plus célèbre, n’est rien de moins que l’origine du "Stalker" d’Andreï Tarkovsky. Aussi concernés par les préoccupations sociales et sociétales de leur temps, les Strugatsky créèrent un univers – Noon - centré sur une planète Terre du 22ème siècle. Dans cet univers, l’homme nouveau s’épanouit dans une méritocratie communiste idéale, dirigée par des technocrates et des philosophes, où chacun occupe le travail de ses rêves. Les planètes qui peuplent cet univers sont autant de modèles déviants dans le reflet desquels se révèlent, flous, les travers d’une union soviétique bureaucratique et brutale, qui s’égare à mille lieues de l’idéal communiste. Une diversion ultime, qui dans un premier temps permet aux auteurs d’éblouir la censure. Rédigé en 1964, "Hard To Be a God" fait partie de cette série et s’ancre pleinement dans la tradition critique à peine voilée des auteurs. Un indice ? Don Reba, la brute autoritaire et fasciste, antagoniste premier de l’œuvre, est un anagramme à peine tronqué de Lavrentiy Beria, chef de la police secrète de Staline décédé peu de temps auparavant.



Ultime film pour un premier projet, le trajet du livre des Strugatsky vers les bobines de Guerman est probablement aussi tortueux que le film. Dès la sortie du livre, déjà, il rêve d’en réaliser une adaptation cinématographique... Noués dans le Leningrad des trois protagonistes de cette épopée, les contacts mènent à la conception d’un dossier déposé au comité de production cinématographique soviétique. Il est sèchement rejeté.
Dans les années 80, les Strugatsky collaborent à la mise en place d’une co-production germano-soviétique avec pour exigence non respectée d’avoir un réalisateur soviétique à la barre. Mais c’est Peter Fleischmann qui, en 1989, tourne cette première adaptation forcément particulière, d’emblée vomie par les frères et le clan Guerman. En 1991, Arkady rend l’âme. En 2000, Alexei Guerman trouve les moyens de produire sa fresque médiévale. Le tournage dure 7 années d’enfer perfectionniste et 6 années supplémentaires de post-production. En 2012 Boris Strugatsky meurt, Guerman l’année suivante. Les dernières touches apportées à cette phénoménale bobine le seront par Svetlana Karmelita et Alexei Guerman Junior.



Hard To Be a God

Il est difficile d’être un Dieu

Alexei Yurievich Guerman, 2013, RU, DCP, vo st fr & ang, 170

Une équipe de scientifiques est envoyée à Arkanar, capitale d’une petite planète proche de la Terre. Plongée dans un Moyen-Âge crasseux, elle refuse d’entrer dans une Renaissance dont l’écho lointain fut assourdit définitivement par l’éradication de la seule université. Parmi eux, Don Rumata, s’intègre à la population en incarnant la dernière engeance d’une lignée de demi-Dieux vénérés. Sous cette couverture, il se doit de parcourir les viscères d’Arkanar, en quête du docteur Budakh, dans le but de sauver ce qui resterait de connaissances dans ce royaume de la bouffonnerie génocidaire, où les têtes d’érudits roulent au rythme d’une interminable pluie battante.
Une voix off distille quelques rares informations, suivies d’indices pour planter le décor. Guerman nous plonge directement, durablement, dans ce monde qui ne pouvait être montré que dans ce noir et blanc peu contrasté et témoigner de ce cloaque humide, sale, et puant. Commence alors pendant près de trois heures un voyage au cœur de cet univers où la bêtise terre à terre régit tout. Hommes et animaux s’en remettent à leur sens premiers pour s’en sortir, et l’odorat reprend le dessus.
Pour respecter le code de déontologie du scientifique Rumata doit éviter d’interagir avec son environnement et ne peut ni tuer ni l’être. Seule la découpe d’oreilles lui permet de faire valoir ses incomparables talents de guerrier.
"Hard To Be a God" est orchestré par des plans séquences vertigineux et virtuoses, où des décors fourmillant de détails prennent vie lors de déplacements à la steadycam, face à laquelle les personnages, au hasard des plans, se confient ou, simplement, nous interpellent depuis ce monde étrangement familier et angoissant. Pas de figurants disait Guerman, mais d’innombrables personnages secondaires, la plupart du temps interprétés par des acteurs non professionnels, souvent recrutés dans des hôpitaux psychiatriques et que le tournage ne devait pas dépayser.
Cette œuvre profonde et drôle maîtrise une approche médiévale fantastique à des années lumières des niaiseries post-Tolkien. C’est plutôt Rabelais, Andrei Roublev et surtout Chaucer, Gilliam et les Monty Pythons que l’on retrouve. Un Moyen-Âge fantasmé et boueux en diable, fait de ceintures de chasteté et de parapluies blindés. Un humour féroce et pince sans rire témoigne de comportements d’une crétinerie abyssale à faire frémir. Une réponse par l’art viscéral et radical à l’obscurantisme sans fond, sans passer par l’Humanisme et son universalisme douteux.
Aucune musique de fond n’habille cette traversée. Seule nous apparaît celle que joue Rumata à partir d’instruments à vents médiévo-futuristes étranges, d’où il tire une musique atonale subversive qui résonne et fait écho aux instruments à cordes des grouilleux locaux, dont l’art populaire est la seule faible source de chaleur de ce film suintant l’automne pluvieux.
Plus de 13 ans furent nécessaire à la naissance de ce film majeur, terminé par le fils et la veuve de Guerman. Une sortie qui laisse perplexe la presse du monde entier, dont l’arsenal critique reste sans outils pour traiter d’un film sortant des canons confortables.

04.04 > 20:00 + 05.04 > 20:00 + 09.04 > 20:00 + 11.04 > 20:00 + 12.04 > 18:00 + 18.04 > 20:00 + 19.04 > 18:00 + 26.04 > 20:00 + 01.05 > 20:00 + 03.05 > 20:00 + 10.05 > 20:00 + 17.05 > 20:00
5€ / 3,5€


Antoine Cattin, 2012, RU-CH, vo ru st fr, 67

Il rouspète, grogne, hurle et tape du pied. Lui, c’est ce cinéaste génial animé d’un perfectionnisme diabolique. Chaque élément du décor, chaque gueule renfrognée, ou encore toute présence de poils de barbe dans le cadre doivent être validés par Alexei Yurievich Guerman. Si sa femme supervise, elle se fait sèchement remettre à sa place quand elle ose outrepasser, même de loin, son autorité. Sa verve atteint également Leonid Yarmolnik, étincelante star en ces russes terres, qui incarne Don Rumata et possède également la gueulante dans sa panoplie de réactions épidermiques. Et dans le fond du cadre, des militaires attendent patiemment les indications pour activer leurs talents de figurant.
Capturé pendant le tournage de "Hard To Be a God" par un duo de réalisateurs helvético-russe - Antoine Cattin & Pavel Kostomarov -, ce portrait d’Alexei Guerman nous plonge dans l’envers du décor d’un film qu’on ne voyait plus venir. Ce film constitue une excellente mise en bouche pour ceux qui ne craignent pas les dévoilements, ou un complément fascinant, pour les spectateurs en quête de clés supplémentaires pour mieux appréhender les mystères de "Hard To Be a God". Si les phases introspectives des réalisateurs brisent le rythme du film, on se délecte de la découverte de l’extérieur du plateau de tournage, du processus de confection manuelle de la boue et, inlassablement, les éclats de voix qui animent le plateau.
Au delà du Guerman démiurge, "Playback" nous laisse entrevoir l’homme et ses intuitions extra-cinématographiques. En bref, une excellente introduction au réalisateur ainsi qu’à son ultime film.

05.04 > 18:00 + 19.04 > 21:00
5€ / 3,5€


Es is nicht leicht ein Gott zu sein

Hard to be a God / Un Dieu rebelle

Peter Fleischmann, 1989, DE-RU-FR, 35mm, vo de st fr, 119

La première adaptation de "Hard To Be a God", co-production franco-germano-soviétique, fut également un long processus, qui laissa toutes les parties sur leur faim à la fin des années 1980. Le film est un mélange de science-fiction et d’Heroic Fantasy passer à la moulinette germanique. Étrange étrange... Pour forcer le trait de ce déroutant récit, on insiste sur le mélange des genres : les terriens communiquent avec Don Rumata et sont à bord d’un vaisseau spatial en orbite ! Jean-Claude Carrière participe au scénario, Peter Fleischmann réalise, Jean-Claude Mézières conçoit les décors (très peu utilisés paraît-il) et l’on voit bien qu’on tente de marier Blockbusters, séries B 80’s et cinéma russe de l’époque (cf "Kin-dza-dza", montré au Nova il y a quelques années) avec un budget compliqué. On est très très loin du film de Guerman ! Si l’on est attentif, l’histoire originale des frères Strugatsky, transformée, se comprend à peu près. Le film réserve quelques bonnes surprises et ne manque pas d’intriguer : une ambiance 80’s vintage, des tentatives de folk futuriste (point commun avec la version de Guerman) et la présence de Werner Herzog font définitivement de ce film un Ovni ! Encore une boucle de bouclée, le film et ses déboires furent comparés pendant plusieurs années aux mésaventures de Terry Gilliam.

12.04 > 21:00 + 26.04 > 18:00 + 17.05 > 18:00
5€ / 3,5€


La vision boueuse et obscurantiste du Moyen-Âge de Guerman fait immanquablement penser à celle de Terry Gilliam et des Monty Pythons. Avec un humour noir, nous assistons à la présentation sans concession d’un peuple misérable, veule et lâche, dont les rois et dirigeants sont incapables et peureux et le clergé malhonnête et ridicule. Ces éléments plongent leurs racines dans la littérature et une observation désabusée du réel.
Pour eux, que ce soit les frères Strugatsky, Lewis Caroll, Laurence Sterne, Chaucer, Rabelais ou Cervantes, l’art du roman permet de s’échapper par l’imagination pour mieux se prendre les pieds dans le réel et finir la face dans la boue, en proie à la bêtise rampante.



Terry Gilliam & Terry Jones, 1975, GB, 35mm, vo st fr & nl, 91

Issu d’une écriture collective autour de la légende Arthurienne, "Sacré Graal" est l’une des comédies les plus cultes et les plus connues au monde. Elle est placée également sous le signe de Chaucer dans un Moyen-Âge fantasmé, sale, lâche et obscurantiste, mais remplis de gags, de jolies filles, de chansons et, surtout, d’outrances et d’absurde. Bien que les parties soient plus stimulantes que le tout, ce film est un objet cinématographique réussi, hilarant et précieux.
Les conditions de productions furent, là encore, aussi épiques que le scénario, et l’aventure marque les débuts à la réalisation de Terry Jones (spécialiste de Chaucer) et de Terry Gilliam. Comme chez Guerman, la mort et la boue sont au rendez-vous, notamment dans les célèbres scènes des collecteurs de cadavres ou des "Mud eaters" où d’extrêmement pauvres paysans, réduits à manger la terre, expliquent la lutte des classes et l’auto-gestion au Roi Arthur. Il paraît que les conditions de tournage auraient eu raison des nerfs du patient Michael Palin, qui allait pourtant remettre plus tard le couvert dans "Jabberwocky".

25.04 > 20:00 + 10.05 > 18:00
5€ / 3,5€


Terry Gilliam, 1977, GB, video, vo st fr, 105

Avec ce film, Terry Gilliam s’émancipe progressivement des Monty Python, tout en gardant un lien fort avec l’univers de ses compères. Michael Palin y tient le rôle principal, et on y retrouve l’esprit et certains gags du groupe. Pour le reste, même si l’humour est encore présent, on entre doucement dans l’univers onirique angoissant qui caractérise le cinéma de Gilliam. Les points communs avec "Hard to be a God" sont nombreux puisqu’on trouve dans ce film une ville boueuse, un château qui s’écroule, des costumes crasseux, des dirigeants minables et mauvais, des marchands, des Guildes agissant en lobbys, des excréments, de la pourriture, de l’urine, des crétins, de véritables gueules, une secte (ici masochiste), d’étranges machines, de la musique diégétique dégénérée, du sang, et un personnage principal qui sert de prétexte à explorer tout cela. Les références littéraires sont proches et le Jabberwocky sort d’un poème absurde de Lewis Caroll (récité par Ted Milton de Blurt, en marionnettiste !). Pour couronner le tout, Gilliam utilise à des fins épiques la musique du grand musicien russe Mussorgsky et ses évocation d’une Kiev médiévale.

25.04 > 22:00
3,5€ / 2,5€


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lang: fr
id_rubrique: 2089
prog: 2088
pos: aval