Une fois par an, des cinémas itinérants parcourent les tréfonds de l’Inde rurale pour apporter la magie des images à un public toujours aussi émerveillé. Avec la même dimension foraine et festive qu’on peut trouver lors d’un PleinOPENair, le public se rassemble dans un lieu improbable et s’agglutine autour du projecteur. Le moteur ronronne, une étincelle, la machine se lance, la bobine se déroule, le faisceau lumineux jaillit et l’image apparaît. La fascination se lit sur les visages. Loin des téléchargements en ligne, la salle de projection demeure un lieu de communion. Les problèmes techniques, qui sont le lot quotidien des projectionnistes, tiennent la foule en haleine, elle qui doit parfois faire des cérémonies pour préserver le matériel du mauvais sort, en particulier de la pluie.
Pourtant, au bout de sept décennies d’activité, ces cinémas itinérants voient désormais leurs camions et leurs projecteurs tomber en ruine, les bobines de pellicule rejoindre les musées et se faire de plus en plus rares, et leur public être attiré par une technologie numérique enjôleuse.
"The Cinema Travellers" nous immerge dans l’intimité de cet univers et de ces moments uniques, dans la dureté d’appartenir à une époque qui disparaît. Pendant cinq ans, Shirley Abraham et Amit Madheshiya ont suivi trois personnages qui apportent le cinéma dans des villages reculés, cherchant à le préserver des changements technologiques nombreux et complexes, et à réinventer leur métier afin d’éviter qu’il disparaisse. Les deux premiers sont projectionnistes, l’un gestionnaire astucieux et l’autre forain bienfaisant tentant de subvenir aux besoins de sa famille sur la route. Le troisième, réparateur aguerri de projecteurs et inventeur atypique de machines en tous genres, porte une vision poétique, philosophique et pragmatique de l’évolution du cinéma : contraint de changer de métier, il recycle ses talents dans l’agriculture, ce qui n’est pas rien dans ce pays qui fournit au moins autant de tonnes de blé que de films au reste du monde.
Un documentaire d’une incroyable poésie, où pointe une forme de nostalgie, mais sans tomber dans le sentimentalisme. Même si la scène de mise à mort d’un projecteur à coups de marteau et de tournevis ne manquera pas de vous faire frissonner…
Mention spéciale L’Œil d’or au Festival de Cannes en 2016.