En ces temps d’austérité générale, et puisque le distributeur français Mary-X ressort quelques uns des films de Shōhei Imamura en version restaurée, il est bon de se rafraîchir un peu le ciné en plongeant dans l’œuvre de cet indocile brutal et impertinent. De 1963 à 1968, trois fictions déploient en quelques années l’évolution de son cinéma qui creuse peu à peu la chronique sociale d’un monde païen que la modernité froide et mécanique saccage. Inlassablement du côté des petites gens, des sans-grades et des parias, Imamura scrute froidement le Japon post 1945, sa modernisation forcenée, sa sous-prolétarisation galopante, sa corruption généralisée. Souvent drôle, parfois jusqu’au burlesque, il se refuse à toute moralité et alimente son œuvre aux geysers des désirs charnels et des pulsions de vies. Citadin d’origine bourgeoise, diplômé d’Histoire, il se déclare « paysan » et s’oppose aux maîtres, Ozu pour commencer dont il fut l’assistant et qui, selon lui, filmait ses acteurs comme des "légumes". Paysan, on y revient. Chez lui, les « légumes » sont terriblement vibrants, les animaux aussi et l’homme, qui n’est rien de plus, ne peut que ramper et rugir là où il est. Sa méthode toujours consista à partir longuement enquêter pour élaborer documentaires ou fictions et construire d’implacables tableaux de la société nippone qui ont fait sa réputation d’"entomologiste" de la Nouvelle Vague japonaise. Mais ne vous attendez pas à un cinéma naturaliste ! Loin de là ! Du documentaire rêche au classicisme étudié en passant par un lyrisme qui pousse jusqu’au sublime, chaque film fait s’entrechoquer plusieurs formes et différents registres pour maintenir une frontalité radicale. Celle qui fait du vivant, dans toute sa crasse et sa magie, l’état premier de l’homme, plus désirable que la société des hommes en marche. Paysan, donc...