Adapté de l’écrivain Robert Walser (en qui Kafka disait avoir trouvé un maître), "L’institut Benjamenta" conte la plongée d’un jeune imbécile appelé Jakob, dans le monde mystérieux des apprentis-domestiques d’un Institut aux pratiques autoritaires. Dans ce théâtre claustrophobique du "rêve que les gens appellent la vie", les pensionnaires - tranquillement lobotomisés à force d’inculquer encore et toujours la même leçon - déambulent comme des fantômes dans d’interminables couloirs...
Filmant comme d’autres peignent, par couches successives et dans un noir et blanc poudreux, les frères Quay ont aussi conçu "L’institut Benjamenta" comme un voyage sonore - pourtant presque sans paroles - où foisonnent bruits et murmures ; bribes d’allemand, d’anglais, de français ou d’italien... Ces frères jumeaux du cinéma anglais, mieux connus pour leurs courts métrages d’animation utilisant des marionnettes, effectuent ici leur première incursion dans le monde du long métrage et de l’image réelle. Fidèle au bricolage inventif et à l’imaginaire surréel qui caractérisent leur oeuvre, le résultat est un film impressionniste, impressionnant et qui ne connaît probablement rien de comparable...
Cet OVNI cinématographique ayant pour personnage principal une école de majordomes, réussit l’improbable alchimie entre cinéma expérimental, théâtre, photo, animation et... danse (voir notamment le magnifique ballet des serveurs). Ici, les moindres mouvements signes ou autres gestes mécaniques qui émaillent le film, prennent une dimension toute particulière. Fable cruelle et ironique, ou chronique d’une follie extraordinaire, "L’institut Benjamenta" est en tout cas une formidable chorégraphie de l’ordre et de la servitude.