Affolés par la crise financière qu’ils ont provoquée, les banquiers se concertent. Vaille que vaille, ils décident d’appeler l’État à leur rescousse pour les sauver de la faillite. Heureusement pour eux, celui-ci est compatissant car, lui aussi, ne désire qu’une chose : perdurer par-delà la catastrophe. La spirale infernale se met alors en branle : l’État renfloue les banques, il s’endette et la récession croît. Les humbles contribuables, soumis à l’austérité, passent alors à la caisse et payent l’addition.
Par quels moyens d’expression rendre compte de cette crise financière ? De la multitude de textes écrits sur le sujet, ceux de Frédéric Lordon détonnent. Économiste iconoclaste, il n’a de cesse de pointer les désastres produits par les mécanismes financiers à l’origine de la crise et pose des questions pour le moins impertinentes : "Et si on fermait la bourse ?", demande-t-il par exemple. C’est l’un de ses derniers ouvrages qui est à l’origine de ce film surprenant tant par son fond que par sa forme : une pièce de théâtre écrite en alexandrins. Gérard Mordillat accroche à l’idée et franchit un pas supplémentaire en adaptant cette tragi-comédie au cinéma.
Le décor post-apocalyptique dans lequel a été tourné le film (une usine désaffectée) évoque l’image de la destruction provoquée par la crise financière et bancaire. Les lieux gardent la trace de leur splendeur passée dont il ne reste que des vestiges, ferrailles, gravats, effondrements ; la banque centrale n’est plus qu’un trou et l’Élysée un pan de mur… Dans cet univers en déliquescence, de petits personnages grouillent, apeurés, narquois, fourbes, avides, gonflés de suffisance : les banquiers, le président, son premier ministre et ses conseillers, le journaliste, le trader (incarnés par des acteurs habitués aux planches de théâtre tels Jacques Weber, François Morel, Franck De La Personne, Jacques Pater, Édouard Baer, Patrick Mille ou encore Jean-Damien Barbin). Les personnages sont ainsi réduits à l’état de simples supports des forces sociales qui s’emparent d’eux et qui parlent pour eux.
L’ironie du film et l’utilisation du langage du théâtre classique du XVIIème siècle pour parler titrisation, récession, endettement, font ressentir le profond décalage entre l’univers politico-financier et la réalité quotidienne vécue par ceux-là qui subissent leur crise. Ce film démontre ainsi que le langage et l’humour constituent encore et toujours de féroces outils de lutte, efficaces également face aux monstruosités concoctées par le petit monde du néolibéralisme.
"Tragique comme du Racine, comique comme du Molière…"
Du 13.09 au 20.10